Livraisons intra-UE et justificatifs de vente en exonération de TVA : la difficulté de prouver la réalité du transport principal lorsqu’il est organisé par l’acheteur. Dernière jurisprudence.
Pour bénéficier de l’exonération de TVA sur les livraisons intra-UE (intra-com) depuis la France, le vendeur doit :
- recevoir en amont le n° TVA de son acquéreur, le vérifier dans la base de données VIES et le porter sur sa facture de vente,
- déclarer l’opération sur l’état récapitulatif TVA et, pour les entreprises sélectionnées par la Douane, déclarer l’opération sur l’enquête Statistique “EMEBI” (ex-D.E.B.),
- prouver la réalité du transport à destination d’un autre Etat membre (Article 138, paragraphe 1, de la Directive TVA 2006/112/CE ou article 262-ter I de notre Code Général des Impôts).
Sur ce dernier point, l’UE a listé une série de preuves dans le cadre des Quick Fixes de 2020 (résumé dans notre mémo “Justifier les livraisons intra-UE en exonération de TVA”).
Si ces preuves sont en règle générale plutôt aisées à recueillir lorsque le vendeur organise le transport, elles le sont nettement moins lorsque le transport est organisé par l’acheteur.
En effet, en cas de vente intra-UE selon les règles Incoterms® EXW/FCA notamment, les Quick fixes 2020 exigent que le vendeur reçoive une déclaration écrite de la part de son acquéreur attestant la bonne réception des marchandises, en plus de deux autres preuves directement liées au transport… que le vendeur n’a pas lui-même organisé.
Ici, le règlement communautaire se heurte de plein fouet à la réalité du terrain.
S’il ne peut pas récupérer l’ensemble des preuves édictées par les Quick fixes, le vendeur a néanmoins la possibilité de constituer un faisceau de preuves prévu par sa propre réglementation fiscale. Vous retrouverez dans notre mémo “Justifier les livraisons intra-UE en exonération de TVA” la liste proposée par la réglementation fiscale française.
Ces preuves semblent, de prime abord, plus faciles à collecter, mais elles sont en revanche laissées à la libre appréciation du contrôleur.
Que disent les magistrats lorsqu’ils sont saisis sur la question des preuves de vente HT pour les livraisons intra-UE ?
Quel que soit l’Incoterm utilisé, les derniers cas de jurisprudence européenne et nationale semblent tous converger vers un document phare : le titre de transport principal.
C’est ce que confirme la Cour Administrative d’Appel de Versailles dans un arrêt rendu le 15 décembre 2022 (pour des faits antérieurs à la publication des Quick Fixes).
L’affaire concerne une entreprise française qui vend des marchandises à une entreprise en Slovaquie, le transport étant réalisé par le client slovaque ou son transporteur. La plupart des documents produits ont été rejetés par le juge au motif qu’ils ne prouvaient pas l’effectivité du transport intra-UE.
Seules quelques livraisons ont échappé à la remise en cause de l’exonération de TVA. Ce sont celles pour lesquelles la réalité du transport physique hors de France a pu être prouvée via les preuves suivantes :
- document de transport principal ou attestation du transporteur du client en cohérence avec la facture de vente,
- en complément de la déclaration de l’acquéreur émise selon la trame des Quick fixes, c’est-à-dire détaillée et permettant d’identifier le réceptionnaire.
Il ressort de l’arrêt que le faisceau de preuves ne saurait se réduire aux documents suivants :
- Seules factures de vente tamponnées et signées du destinataire, même si elles indiquent le n° de TVA intra-com du client, même associées aux correspondances commerciales ou aux bordereaux de virement d’une banque étrangère (ces documents sont pourtant dans la liste des preuves recevables par l’administration fiscale française…).
- Seules déclarations des acquéreurs surtout si elles ne respectent pas le formalisme des Quick Fixes 2020, notamment l’identité et la qualité des signataires.
Quant à la difficulté supplémentaire que représente un transport avec le propre véhicule de l’acheteur.
Les documents tels que carte d’identité du ressortissant étranger et/ou certificat d’immatriculation d’un véhicule étranger pourraient éventuellement compléter le faisceau de preuves s’ils sont lisibles et permettent de faire le lien avec la société cliente dont le nom figure sur la facture de vente.
Pour tous les documents présentés, la CAA de Versailles apporte une attention particulière au formalisme des documents : noms des signataires et tampons des transporteurs lisibles mais aussi dates, lieux de livraison, noms des parties et nombre de colis concordants avec les mentions de la facture de vente et de la note de colisage.
La CMR (lettre de voiture internationale) comportant dans la case Transporteur le seul grigri du chauffeur n’est pas recevable ! Il convient à ce sujet de sensibiliser les personnes en charge des expéditions.
Quelles conclusions tirer de ce cas de jurisprudence afin de sécuriser les livraisons intra-UE ?
- Idéalement… le vendeur devrait conserver l’organisation du transport principal. Privilégier ainsi les ventes sous Incoterms® CPT/CIP/DAP/DPU notamment. Il peut ainsi plus facilement collecter les preuves listées par les Quick Fixes.
- Dans tous les cas, le vendeur doit détenir les preuves de transport ou des attestations du transporteur, lisibles, correctement tamponnées/signées et en lien avec la facture de vente.
- Lorsque le transport principal est organisé par l’acheteur, les 3 preuves listées par les Quick Fixes sont très difficiles à collecter. Dans ce cas, sur la base de la réglementation fiscale nationale, réunir un faisceau de preuves : a minima, le vendeur doit recevoir la déclaration écrite de son acquéreur attestant la bonne réception des marchandises ainsi que le document de transport principal (à défaut, une attestation établie par le transporteur du client).
- En cas de doute sur la récupération de ces preuves de la part de l’acheteur… l’Administration fiscale française est claire : vendez TTC ou a minima, consignez le montant de la TVA en attendant de recevoir ces preuves.
Reste à suivre les prochaines jurisprudences post Quick-Fixes…
Liens :
- CAA Versailles, 3e, 15 déc. 2022, nº 19VE03541.
- Un autre cas de jurisprudence européenne dans notre actu du 30.08.2021.
- Notre mémo “Justifier les livraisons intra-UE en exonération de TVA” qui reprend entre autres la trame de la déclaration écrite de l’acquéreur.