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Origine non-préférentielle : délocaliser en vue d’échapper à une surtaxe… La CJUE donne son verdict final sur l’affaire Harley Davidson.

En 2021, nous vous relations les mésaventures du fabricant de motos américain Harley Davidson (notre article du 18.4.2021) à qui l’UE reproche d’avoir délocalisé sa production hors des Etats-Unis afin d’échapper à une surtaxe en vigueur à l’import en UE.

L’affaire Harley Davidson versus Commission européenne, sous l’angle opérationnel :

  • 2018 : l’UE applique une surtaxe de 25 % à moult produits d’origine USA en guise de mesure de rétorsion vis-à-vis des surtaxes américaines sur la sidérurgie décidées lors du 1er mandat de D. Trump.
  • Les motocycles classés dans la position tarifaire 8711 sont concernés.
  • Le fabricant Harley Davidson transfère alors sa production en Thaïlande, pays non soumis à cette surtaxe : les composants américains sont exportés pour assemblage final en Thaïlande afin d’obtenir l’origine non-préférentielle thaïlandaise.
  • Pour sécuriser la nouvelle origine, le représentant en douane en UE dépose auprès des douanes belges deux demandes de RCO (Renseignement Contraignant en matière d’Origine dont la réponse engage les douanes de l’UE et son titulaire).
  • L’origine Thaïlande est validée par les douanes belges sur la base d’une des 2 règles de transformation substantielle applicables au code douanier 8711 :
    • soit la Thaïlande apporte 45 % de valeur ajoutée,
    • soit les composants USA ne doivent pas être classés sous le même code douanier que le produit fini (avec une tolérance de 10 % sur le prix départ usine).
  • Les motos déclarées d’origine Thaïlande sont ainsi importées en UE sans surtaxe.
  • Or, la Commission européenne conteste l’origine Thaïlande au motif qu’une condition de fond pour attribuer l’origine non-préférentielle du dernier pays transformateur n’a pas été respectée. En effet, selon l’article 60.2 du Code des Douanes de l’Union (règle de l’OMC) :

“Les marchandises dans la production desquelles interviennent plusieurs pays ou territoires sont considérées comme originaires de celui :

    1. où elles ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle,
    2. économiquement justifiée,
    3. effectuée dans une entreprise équipée à cet effet
    4. et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important.”
  • “Transformation économiquement justifiée” : cette notion est reprise à l’article 33 du règlement délégué (UE) 2015/2446 et stipule ceci : “toute ouvraison ou toute transformation effectuée dans un autre pays ou un autre territoire est réputée ne pas être économiquement justifiée s’il est établi, sur la base des éléments de fait disponibles, que l’objectif de cette opération était d’éviter l’application des mesures de politique commerciale de l’UE”.
  • C’est ce qui est reproché à Harley Davidson : la délocalisation avait pour objectif principal d’éviter l’application des mesures de politique commerciale de l’UE.
  • Par voie de conséquence, il convient d’appliquer d’office la règle d’origine résiduelle : l’origine des motos sera celle des matières prédominantes, à savoir USA … et la surtaxe de 25 % continuera à s’appliquer malgré le dernier assemblage en Thaïlande.
  • Les 2 RCO sont révoqués par la Commission européenne.
  • Harley Davidson demande l’annulation des révocations devant le Tribunal de l’UE, puis devant la CJUE/ Cour de justice de l’Union européenne qui tous deux rejettent la demande.

Epilogue :

  • Le 21.11.2024, la CJUE a rendu son verdict final dans l’affaire Harley Davidson vs UE (jurisprudence C-297/23 P) :
    • La CJUE maintient son refus d’annuler la révocation des 2 RCO belges : les motos en provenance de Thaïlande sont bien d’origine USA et la surtaxe de 25 % devait bien s’appliquer (elle a été levée en janvier 2022 sous la présidence de J .Biden).

A retenir :

  • Si la fabrication à l’étranger est principalement motivée par un contournement de droits additionnels, anti-dumping, anti-subvention et autre surtaxe : les entreprises encourent le risque d’un contrôle par la douane du pays d’importation finale et d’un refus de l’origine déclarée.
  • Le risque de contrôle est accru dans un contexte de tensions économiques et politiques exacerbées avec d’autres pays du globe. Cette situation pourrait amener les entreprises à sous-traiter ou délocaliser dans des pays non soumis à représailles.
  • Plus que jamais, les référent.es Douane des entreprises doivent être impliqué.es en amont des projets industriels et commerciaux. Une vision globale s’impose avant la mise en place de tout nouveau flux.

Pour aller plus loin :

Les codes douaniers
Accord UE-Mercosur